CHAPITRE 28

Ce fut le bruit d’un sèche-cheveux qui réveilla Ben ; émergeant de sa torpeur, il se rendit compte qu’il se trouvait dans une chambre d’hôtel à Vienne et qu’après une nuit passée sur le canapé, son dos le faisait souffrir.

Il pencha la tête en avant et entendit ses vertèbres craquer. Son cou retrouva un peu de sa souplesse.

Lorsque la porte de la salle de bains s’ouvrit, la lumière se répandit dans la chambre. Anna Navarro apparut, maquillée et vêtue d’un tailleur de tweed marron un peu démodé mais qui ne lui allait pas trop mal.

« Je serai de retour dans une heure ou deux, fit-elle sèchement. Rendormez-vous. »

Comme Ostrow le lui avait indiqué, en face de la section consulaire de l’ambassade américaine, se dressait un immeuble de bureaux moderne et triste. Dans le hall, un panonceau annonçait la liste des divers services américains et autrichiens installés dans les locaux. Le Bureau du Représentant du Commerce américain – la couverture de l’antenne de la CLA à Vienne – se trouvait au dixième étage. Ces émanations des agences sur lesquelles elle enquêtait étaient loin d’être inhabituelles ; elles constituaient parfois ses meilleures pistes.

Anna pénétra dans un hall de réception tout ce qu’il y avait de plus banal. Sous la Grande Aigle des États-Unis, la jeune femme installée derrière un bureau venant des stocks du gouvernement répondait au téléphone tout en tapant sur le clavier d’un ordinateur. Elle ne leva pas les yeux. Anna se présenta, l’hôtesse pressa sur un bouton et l’annonça.

Moins d’une minute plus tard, un homme pâle comme un bureaucrate condamné à perpétuité apparut, l’air affairé. Ses joues creuses étaient couvertes de cicatrices d’acné, ses cheveux auburn grisonnaient. Il posa sur elle ses petits yeux gris cachés derrière de grosses lunettes cerclées de métal.

« Miss Navarro ? lança-t-il en lui serrant vigoureusement la main. Je suis Phil Ostrow. »

La réceptionniste ouvrit à distance la porte par laquelle Ostrow avait surgi. Ce dernier conduisit Anna jusqu’à une petite salle de conférence où un bel homme mince et bronzé était assis à une table en Formica imitation bois. Il avait des cheveux poivre et sel coupés en brosse et des yeux bruns frangés de longs cils noirs. La trentaine bien sonnée, il devait être originaire d’un pays du Proche-Orient. Ostrow et Anna s’installèrent de chaque côté de lui.

« Yossi, je vous présente Anna Navarro. Anna, voilà Yossi. »

Impossible de déterminer si les profondes rides d’expression entourant les yeux de Yossi étaient dues au soleil ou bien aux tourments d’une vie trop stressante. Son menton carré était partagé par une fossette.

Paradoxalement, il y avait presque quelque chose de joli dans ce visage de baroudeur, buriné et mal rasé.

« Enchantée de faire votre connaissance, Yossi », lança-t-elle.

Elle hocha la tête avec une certaine réserve, sans sourire ; il fit de même et ne lui tendit pas la main.

« Yossi est agent secret – cela ne vous ennuie pas si je lui raconte tout cela, n’est-ce pas, Yossi ? s’enquit Ostrow. Il exerce ici à Vienne sous une excellente couverture commerciale. Une combine impeccable. Il a quitté Israël à la fin de son adolescence pour émigrer aux États-Unis. Tout le monde le croit israélien – ce qui signifie qu’à chaque fois qu’il fait une bêtise, c’est quelqu’un d’autre qui en subit les conséquences. » Ostrow gloussa.

« Ostrow, ça suffit, arrête », dit Yossi. Sa voix bourrue avait les riches tonalités du baryton et son anglais était ponctué de R gutturaux dus à son accent hébreu.

« À présent, nous sommes sur la même longueur d’onde : au cours des dernières semaines, plusieurs hommes ont été retrouvés morts dans des pays différents. Vous enquêtez sur ces disparitions. Vous savez qu’il s’agit de meurtres, mais pas qui se cache derrière. »

Anna le contempla d’un air las.

« Vous avez interrogé Benjamin Hartman au Sicherheitburo. Et depuis vous êtes restée en contact étroit avec lui. C’est bien cela ?

– Où voulez-vous en venir ? »

Ostrow prit la parole.

« Nous sommes en train de former une requête officielle inter-agences afin que vous nous remettiez Hartman.

– Que diable… ?

– Vous jouez dans la cour des grands, ici, madame. » Ostrow lui retourna calmement son regard.

« Je ne vous suis pas.

– Hartman représente un risque pour la sécurité. Un bigame, vous pigez ? »

Anna connaissait ce terme tiré du jargon usité à l’Agence – il désignait les agents doubles, les Américains recrutés par des parties adverses.

« Je ne comprends pas. Insinuez-vous que Hartman serait l’un des vôtres ? » C’était pure folie. Ou bien… Pourtant cette nouvelle donnée avait le mérite d’éclaircir certains faits insolites qui l’avaient intriguée. Par exemple, comment s’y était-il pris pour voyager à travers l’Europe au nez et à la barbe de la police des frontières ? En outre, sa couverture de financier international lui donnait des multitudes d’introductions. L’héritier en titre d’une firme réputée – jamais aucune fable n’apparaîtrait plus crédible.

Yossi et Ostrow échangèrent des coups d’œil.

« Non, pas exactement.

– Ah bon ? Alors avec qui est-il ?

– D’après nos théories, il travaillait sous contrat pour un membre de notre équipe qui, lui, exerçait en indépendant, dirons-nous. Il pourrait s’agir d’un agent infiltré.

– Et c’est pour me parler de vos théories que vous m’avez fait venir ?

– Il faut qu’il rentre aux États-Unis, nous en avons besoin. Essayez de comprendre, agent Navarro. Vous ne savez vraiment pas à qui vous avez affaire.

– J’ai affaire à un homme plongé dans la plus grande confusion, à cause d’un certain nombre d’événements. Un homme qui est encore sous le choc de la mort de son frère jumeau – assassiné, croit-il.

– Nous savons tout cela. Il ne vous est pas venu à l’esprit qu’il aurait pu le tuer ?

– Vous plaisantez. » Cette accusation était inconcevable, affreuse ; devait-on y ajouter foi ?

« Que savez-vous réellement au sujet de Benjamin Hartman ? demanda Ostrow d’un ton irrité. Je vais vous poser une autre question. À votre avis, comment les personnes figurant sur votre liste ont-elles commencé à devenir des cibles ? Les renseignements ne sont pas gratuits, agent Navarro. Les renseignements suivent le cours du dollar et quelqu’un comme Benjamin Hartman a les moyens de se les offrir. »

Graisser quelques pattes : les paroles mêmes de Hartman.

« Mais pourquoi ? Quel est son programme ?

– Nous ne le découvrirons pas tant qu’il se donnera du bon temps en Europe, pas vrai ? » Ostrow fît une pause.

« Yossi a entendu certaines choses de la bouche de ses anciens compatriotes. Le Mossad lui aussi, possède des agents dans cette ville. Il y a une connexion possible avec vos victimes.

– Un groupe dissident ? demanda-t-elle. À moins que vous ne soyez en train de parler du Kidon ? » Elle évoquait l’unité du Mossad chargée des basses œuvres.

« Non. Rien d’officiel. C’est une affaire privée.

– Impliquant des agents du Mossad ?

– Et les quelques indépendants qui travaillent pour eux. Mais ces meurtres ne portent pas leur signature.

– Je vous en prie », dit Yossi. Une moue méprisante plissa son visage. « Ne soyez pas naïve. Vous pensez que mes compatriotes ont l’habitude de laisser leurs cartes de visite ? Quand ils veulent être crédités, d’accord. Allons !

– Alors ils ne veulent pas être crédités.

– Bien sûr que non. Cette affaire est trop délicate. Dans le climat actuel, il n’en faudrait pas davantage pour mettre le feu aux poudres. Israël ne veut pas être mis en cause.

– Alors pour qui travaillent-ils ? »

Yossi lança un coup d’œil à Ostrow, puis revint à Anna. Il haussa les épaules.

« Pas pour le Mossad, si c’est ce que vous voulez savoir.

– Quand le Mossad ordonne un assassinat, il doit respecter la procédure officielle. Il existe un système interne, une "liste d’exécution", que le Premier ministre doit corroborer. S’il ne paraphe pas chaque nom sur la liste, ça ne sert à rien. Or il arrive que les gens du Mossad et du Shin Bet soient obligés de se passer de l’approbation du sommet. Voilà pourquoi je vous dis qu’il ne s’agit pas d’une sanction autorisée.

– Je vous repose donc la question. Pour qui travaillent-ils ? »

De nouveau, Yossi observa Ostrow, mais cette fois-ci, avec un regard de connivence.

« Tout cela reste entre nous, n’est-ce pas ? » reprit Ostrow.

Elle avait la chair de poule. Abasourdie, elle murmura : « Vous me menez en bateau.

– Écoutez, l’agence ne se salira pas les mains, dit Ostrow. Plus jamais. Au bon vieux temps, nous n’hésitions pas à liquider tel ou tel dictateur fantoche qui nous paraissait s’engager sur la mauvaise pente. Aujourd’hui, nous avons des directives présidentielles, le Congrès nomme des comités de supervision et on a coupé les couilles aux directeurs de la CIA. On tremble rien qu’à l’idée qu’un ressortissant étranger puisse attraper un rhume de cerveau à cause de nous. »

On frappa à la porte. Un jeune homme passa la tête dans l’embrasure.

« Langley sur la trois, Phil, informat-il.

– Dis-leur que je ne suis pas encore rentré. » La porte se referma et Ostrow leva les yeux au ciel.

« Laissez-moi réfléchir deux secondes, dit Anna à l’intention d’Ostrow. Vos gars ont transmis des renseignements à des types du Mossad travaillant en free-lance ?

– Quelqu’un l’a fait. C’est tout ce que je sais. Selon la rumeur, Ben Hartman aurait servi d’intermédiaire.

– Vous avez une preuve irréfutable ?

– Yossi est tombé sur certains détails révélateurs, répondit tranquillement Ostrow. Il m’a décrit assez de "filigranes", de procédures "d’hygiène publique", les marquages interoffice, pour que je me fasse mon opinion. Toute cette histoire vient en droite ligne de la CIA. Je parle de la merde qu’on ne peut maquiller, les marques et les glyphes qui circulent tous les jours. »

Pour Anna, c’était clair comme de l’eau de roche : Yossi lui-même avait dû travailler pour les États-Unis en tant qu’agent infiltré, un élément ultra-secret, chargé d’espionner le Mossad pour le compte de la CIA. Elle eut envie de s’adresser directement à lui mais y renonça, par pur respect de la déontologie.

« Qui serait en cause, à Langley ? demanda-t-elle.

– Je vous l’ai dit, je ne sais pas.

– Vous ne savez pas ou vous ne voulez pas me le dire ? »

Amusé par cette joute opposant deux Américains, Yossi sourit pour la première fois. D’un sourire éblouissant.

« Vous ne me connaissez pas, ajouta Ostrow. Mais les gens qui me connaissent savent que je suis impitoyable. Quand quelqu’un ne me revient pas, je finis toujours par le baiser. Si j’avais le nom de ce type, je vous l’offrirais sur un plateau rien que pour le plaisir. »

Sa sortie sonnait juste : n’importe quel individu confronté aux querelles intestines de l’Agence aurait répondu de la même façon. Mais elle se garda bien de lui laisser voir qu’il l’avait convaincue.

« Quel serait le mobile, en l’occurrence ? Vous pensez que la CIA abrite des fanatiques ? »

Il secoua la tête.

« Mes collègues ne sont fanatiques de rien, hormis des congés payés.

– Alors quoi ? Quel serait le mobile ?

– Vous voulez savoir ce que je pense ? Laissez-moi vous dire un truc. » Ostrow ôta ses lunettes et entreprit de les essuyer avec sa chemise.

« Imaginez une bande d’escrocs et de capitalistes, du menu fretin travaillant pour des gros poissons. Quand leur liste tombe entre les mains de la CIA et des nazis, juste après la guerre, on s’empresse d’enterrer les cadavres. Ma théorie ? Quelqu’un de haut placé, je veux dire de très haut placé, a dû constater que quelques noms datant de Mathusalem étaient sur le point d’être exhumés.

– Ce qui signifie ? »

Il remit ses lunettes.

« Les noms de ces vieillards n’avaient guère d’intérêt, c’était de l’histoire ancienne. Des gars qui, pour la plupart, se sont évanouis dans les brumes de l’histoire, OK ? Soudain une liste surgit et devinez quoi ? Elle comporte les noms d’anciens responsables de l’Agence, des types qui ont trempé dans cette merde. On peut imaginer certains petits arrangements financiers, permettant de manger à tous les râteliers. Je vous en fiche mon billet, les vieux schnocks vont se mettre à couiner comme des cochons qu’on mène à l’abattoir. Alors à qui fera-t-on appel ? Eh bien, aux fanatiques israéliens. Clair et net. On réveille les vieux fantômes de la Seconde Guerre mondiale, on agite certaines vengeances inexplicables. Comme ça les vieux croûtons sauvent leurs culs – et tout le monde est content. »

Ouais, pensa-t-elle, écœurée. Tout le monde est content.

« Écoutez-moi. Nos intérêts convergent. Vous tentez d’élucider une série d’homicides. Nous tentons d’élucider une série d’atteintes à la sécurité. Mais nous n’arriverons à rien sans Ben Hartman. Je ne vais pas vous écraser sous toutes les présomptions que nous formons. Il y a pas mal de chances pour que ses employeurs soient justement ceux qui le pourchassent. Quand ils commencent à nettoyer, ils ne savent pas s’arrêter – c’est bien le problème avec eux. »

Nettoyer : c’était peut-être ce qu’elle était en train de faire elle-même ?

Ostrow sembla répondre à l’hésitation qui se peignait sur son visage.

« Nous avons simplement besoin de démêler le vrai du faux.

– Vous avez la paperasse ? » demanda Anna.

D’un doigt nerveux, Ostrow tapota un document agrafé. Le titre imprimé en lettres capitales disait : transfert sous bonne garde d’un citoyen americain.

« Oui, je l’ai. À présent, je n’ai plus besoin que du bonhomme. Jack Hampton a dit que vous comprendriez.

– Qu’avez-vous imaginé pour la livraison ?

– Écoutez, l’extraterritorialité est une question délicate, ici…

– Ce qui veut dire que vous ne voulez pas que je vous l’amène.

– Vous avez bien compris. Mais nous pouvons passer chercher le paquet. Vous lui mettez les menottes et à votre signal on arrive avec la cavalerie. En plus, ça vous permettra de garder les mains propres. Donnez-nous l’heure et l’endroit, de préférence un lieu assez discret, et…

– Et nous nous occuperons du reste. » Yossi avait retrouvé son air sombre.

« Vous êtes de vrais cow-boys, pas vrai ? s’exclama Anna.

– Des cow-boys à cheval sur des sièges éjectables, pour la plupart d’entre nous, répondit Ostrow avec une ironie désabusée. Mais, une chose est sûre : nous sommes encore capables d’exécuter une exfiltration quand c’est nécessaire. Personne ne sera blessé. Une extraction claire et nette – du travail de chirurgien.

– La chirurgie, ça fait mal.

– Ne vous prenez pas la tête avec ça. C’est la seule chose à faire. En plus, comme ça, nous aurons tous rempli notre mission.

– Vous pensez à tout, dit Anna en grimaçant.

– J’ai aussi pensé à cela. » Ostrow sortit une feuille de papier où étaient inscrits les horaires des vols sans escale partant de Vienne pour l’aéroport international Dulles de Washington et l’aéroport Kennedy à New York.

« Ce qui compte le plus, c’est le temps. »

Dans un bureau sombre, au premier étage d’un immeuble de Wallnerstrasse, le corpulent Berufsdetektiv Hans Hoffman reposa brutalement le combiné et poussa un juron. Il était 10 heures du matin et cela faisait quatre fois qu’il appelait l’Américain à son hôtel sans parvenir à le joindre. Déjà la nuit précédente, le message qu’il avait laissé était resté sans réponse. L’hôtel ne disposait d’aucun autre numéro de téléphone où joindre Hartman et personne n’avait voulu lui dire s’il avait ou non passé la nuit dans sa chambre.

Or le détective privé avait besoin de le contacter immédiatement.

C’était urgent. Il avait mal orienté l’Américain, l’avait lancé sur une piste dangereuse. Quoi que les gens disent de lui par ailleurs, Hans Hoffman passait à juste titre pour un homme scrupuleux. Il fallait qu’il parle à Hartman avant que ce dernier ne se rende chez Jürgen Lenz. C’était une question de la plus haute importance.

En effet, ce que le détective avait découvert la veille en fin d’après-midi était rien moins que sensationnel. Les enquêtes de routine qu’il avait menées au sujet de Jürgen Lenz avaient donné des résultats fort inattendus.

Le Dr Lenz ne pratiquait plus la médecine ; Hoffman avait voulu savoir pourquoi. À cette fin, il avait demandé copie du diplôme de Lenz auprès de l’Arztekammer, les archives regroupant les diplômes d’État de tous les médecins autrichiens.

Il n’y en avait aucun au nom de Jürgen Lenz.

Il n’y en avait jamais eu.

Hoffman s’était interrogé. Comment était-ce possible ? Lenz mentait-il ? N’avait-il jamais pratiqué la médecine ?

D’après la biographie officielle de Lenz, généreusement distribuée par les bureaux de la Fondation Lenz, il était soi-disant diplômé de la faculté de médecine d’Innsbruck. Hoffman vérifia donc auprès d’eux.

Jürgen Lenz n’avait jamais mis les pieds à la faculté d’Innsbruck.

Ensuite, poussé par une insatiable curiosité, Hoffman s’était rendu à l’Université de Vienne, où sont conservés les registres des examens menant à l’obtention du diplôme de médecin, et ce pour tous les praticiens autrichiens.

Rien.

Hans Hoffman avait fourni à son client le nom et l’adresse d’un homme à la biographie falsifiée. Décidément, quelque chose ne tournait pas rond.

Hoffman avait étudié de près les notes emmagasinées dans la mémoire de son ordinateur portable, s’efforçant d’y trouver un sens, tâchant d’assembler les faits d’une autre manière.

À présent, toujours devant son écran, il passait en revue la liste des dossiers qu’il avait déjà examinés. Peut-être en avait-il laissé passer un, ce qui pourrait expliquer cette étrange situation.

Une forte sonnerie le fit sursauter. Quelqu’un avait appuyé sur le bouton de l’interphone, à la porte de l’immeuble. Il se leva et se dirigea vers le combiné fixé au mur.

« Oui ?

– Je cherche Mr. Hoffman.

– Oui ?

– Je m’appelle Leitner. Je n’ai pas rendez-vous, mais je souhaiterais m’entretenir avec lui d’une affaire importante.

– Quel genre d’affaire ? » demanda Hoffman. Pourvu que ce ne soit pas un représentant, songea-t-il.

« Le genre confidentiel. J’ai besoin de son aide.

– Montez, c’est au premier. » Hoffman appuya sur le bouton qui déverrouillait électroniquement la porte d’entrée.

Il sauvegarda le dossier Lenz, referma son ordinateur et ouvrit la porte de son bureau.

Un homme vêtu d’une veste de cuir noir, avec des cheveux gris acier, un bouc et une boucle à l’oreille gauche, se tenait sur le seuil.

« Mr. Hoffman ?

– Oui ? » Hoffman le jaugea comme il le faisait avec tous ses clients potentiels, pour tenter d’évaluer combien d’argent le gars pouvait se permettre de dépenser. Le visage de l’homme était lisse, sans rides, sa peau presque tendue sur ses hautes pommettes. Malgré ses cheveux gris, il n’avait certainement pas plus de quarante ans. C’était un spécimen impressionnant et pourtant ses traits n’avaient rien d’extraordinaire. On remarquait surtout ses yeux gris, dépourvus d’expression. Un homme austère.

« Entrez donc, dit Hoffman sur un ton cordial. Alors, que puis-je faire pour vous ? »

Il n’était que 9 heures du matin lorsqu’Anna regagna son hôtel.

Comme elle insérait sa carte électronique dans la fente prévue à cet effet, au-dessus de la poignée de la porte, elle entendit un bruit d’eau. Elle entra vivement, suspendit son manteau dans le placard du vestibule et pénétra dans la chambre. Elle avait une grave décision à prendre : il faudrait qu’elle se fie à son intuition, elle le savait.

Elle entendit Ben fermer le robinet de la douche puis il apparut à la porte de la salle de bains. De toute évidence, il ne l’avait pas entendue arriver.

Il était encore trempé, une serviette de bain passée autour de ses hanches, son corps musclé admirablement sculpté. Autrefois ce genre de physique était le propre des travailleurs de force, aujourd’hui il était l’apanage des jeunes gens de la classe privilégiée – la pratique intensive du sport, un professeur particulier. D’un regard inquisiteur, elle passa en revue tous les signes distinctifs de l’athlète – les abdominaux saillants, les pectoraux comme deux boucliers jumeaux, les biceps gonflés. L’eau perlait sur sa peau cuivrée. Il avait enlevé le pansement qui recouvrait sa blessure et l’on voyait une petite tache rouge vif sur son épaule.

« Vous êtes rentrée, dit-il, s’apercevant enfin de sa présence. Quoi de neuf ?

– Laissez-moi jeter un coup d’œil à cette épaule », ordonna-t-elle. Il s’avança vers elle. L’intérêt qu’elle éprouvait pour lui était-il purement professionnel ? Le léger pincement qu’elle ressentit au creux de l’estomac lui indiqua que cette réflexion n’était pas anodine.

« La blessure est presque cicatrisée », articula-t-elle. Elle passa un doigt léger autour de la zone rougie.

« Vous n’avez pas vraiment besoin de pansement. Une fine couche de Bacitracine, peut-être. J’ai une trousse de secours dans mes bagages. »

Elle alla la chercher. Quand elle revint, il avait passé un boxer-short mais pas de chemise.

« Hier, vous disiez quelque chose à propos de la CIA, fit-elle en se débattant avec le tube de pommade.

– Je me trompe peut-être, je n’en sais pas plus, dit-il. Lenz formait des soupçons. Mais je ne peux me résoudre à le croire. »

Mentait-il ? Lui avait-il raconté des histoires, la nuit dernière ? La chose paraissait incroyable. Son instinct, toute son intuition, lui dictait de le croire. Dans sa voix, elle ne décelait aucune bravade, aucune tension – signes révélateurs de la duplicité.

Elle lui massa l’épaule avec la pommade antiseptique, son visage tout près du sien. Il sentait le savon et le shampooing à la pomme verte fournis par l’hôtel, plus quelque chose d’autre, un parfum qui lui rappelait vaguement l’odeur de la terre. L’odeur de l’homme. Elle inspira calmement, profondément, puis, soudain assaillie par une tempête d’émotions, s’éloigna de lui.

Ses facultés de jugement, son esprit critique seraient-ils perturbés par certains sentiments inopportuns ? Dans sa situation, et surtout dans les circonstances présentes, elle ne pouvait se permettre le moindre écart.

D’un autre côté, les officiers de la CIA avaient peut-être été mal informés. De qui tenaient-ils leurs sources ? Aucun enquêteur n’était infaillible. Elle connaissait aussi bien que quiconque les faiblesses du système. Et si jamais la CIA était impliquée, serait-il sage de leur livrer Ben ? Il y avait trop d’incertitude dans le monde qui l’entourait : elle devait se fier à son instinct, ou elle était perdue.

Elle composa le numéro de Walter Heisler.

« Je vais vous demander une faveur, dit-elle. J’ai appelé l’hôtel de Hartman. Il semble être parti sans régler sa note. Il y a eu une fusillade. Évidemment il a laissé ses bagages là-bas. Je veux inspecter ses valises sans avoir à me presser.

– Eh bien, voyez-vous, à partir du moment où une enquête est ouverte, les bagages sont à nous.

– L’enquête est ouverte ?

– Non, pas encore, mais…

– Alors pouvez-vous m’accorder une immense faveur ? Me faire porter les bagages ici, à mon hôtel.

– Eh bien, je suppose qu’on peut arranger cela, marmonna Heisler d’une voix maussade. Bien que ce ne soit… guère orthodoxe.

– Merci, Walter », répondit-elle chaleureusement, avant de raccrocher.

Ben s’avança vers elle d’un pas nonchalant. Il ne portait toujours que son boxer-short.

« Ça, c’est ce que j’appelle une affaire rondement menée », dit-il avec un grand sourire.

Elle lui tendit un maillot de corps.

« Il fait un peu frisquet dehors », dit-elle, la gorge sèche.

Ben Hartman sortit de l’hôtel en regardant autour de lui avec nervosité. Douché, rasé, il se sentait assez présentable, bien qu’il portât encore les vêtements fripés dans lesquels il avait dormi. Il enfila la grande avenue encombrée et traversa la pelouse du Stadtpark. Dans ce vaste espace découvert, il se sentait vulnérable, exposé à tous les regards. Puis il tourna à droite et se dirigea vers le premier district.

Il avait passé la dernière demi-heure au téléphone. D’abord il avait réveillé un contact basé aux îles Caïmans. L’ami d’un ami qui dirigeait un bureau d’« enquêtes » censé prospecter pour le compte d’entreprises multinationales désireuses de louer des terrains. En réalité, cette petite société consacrait l’essentiel de ses activités aux individus fortunés ou aux multinationales qui, de temps à autre, avaient besoin de pénétrer le secret des banques du secteur.

O’Connor Security Investigations, firme hautement confidentielle, avait été fondée par un immigré irlandais, un ancien officier de gendarmerie répondant au nom de Fergus O’Connor. Il était venu aux Caïmans pour travailler comme vigile dans une banque britannique et y était resté. Gravissant les échelons, il s’était retrouvé officier de sécurité, puis chef de service. Le jour où il avait compris que son réseau de relations et son expérience possédaient une certaine valeur marchande – il connaissait tous ses homologues des autres banques, savait à qui faire confiance ou pas, les dessous de la profession n’avaient plus eu de mystère pour lui – il s’était installé à son compte.

« Il vaut mieux que ce soit important, avait grommelé Fergus au téléphone.

– Ça, je n’en sais rien, répondit Ben. Mais ce sera terriblement lucratif.

– Bon, alors on discute », dit Fergus, radouci.

Ben lui lut une liste de codes de routage et de numéros de virements et ajouta qu’il rappellerait en fin de journée.

« Ça va me prendre plus de temps, objecta Fergus.

– Même si nous doublons vos honoraires habituels ? Est-ce que cela accélérerait les choses ?

– Ah ça, vous pouvez me croire, ça va les accélérer. » Il y eut un silence. « Au fait, vous savez qu’on raconte les pires choses à votre sujet ?

– C’est-à-dire ?

– Tout un tas de conneries. Vous connaissez le téléphone arabe. On prétend que vous avez trempé dans une affaire de meurtre.

– Vous plaisantez.

– On dit que vous avez tué votre propre frère. »

Ben ne répondit pas, mais eut un haut-le-cœur. N’y avait-il pas un peu de vrai là-dedans ?

« Rien que des trucs dingues dans ce genre-là. C’est pas ma spécialité mais j’ai ma petite idée sur la manière dont les rumeurs se propagent dans le monde de la finance. Il y a des types qui ne reculent devant rien pour tirer leur épingle du jeu. Un tas de conneries, tout ça. Pourtant, il serait intéressant de savoir qui a décidé de lancer cette rumeur.

– Merci pour le scoop, Fergus », dit Ben d’une voix moins ferme qu’il ne l’aurait voulue.

Il respira profondément plusieurs fois pour retrouver son calme avant de passer un deuxième appel, celui-ci à une jeune femme travaillant pour la succursale new-yorkaise d’un autre cabinet de consultants, une grande compagnie internationale tout ce qu’il y avait de plus légal, cette fois-ci, comptant parmi son personnel d’anciens agents du FBI et même quelques ex-officiers de la CIA. Knapp Incorporated avait pour spécialité d’aider les corporations à « contrôler » leurs éventuels partenaires d’affaires, de repérer les criminels en col blanc se livrant à des détournements de fonds et autres indélicatesses – une agence secrète fonctionnant sur une échelle globale. Hartman Capital Management avait déjà eu recours à leurs services.

Megan Crosby était l’une des plus brillantes consultantes de Knapp. Juriste diplômée de Harvard, elle n’avait pas son pareil pour décortiquer l’environnement des sociétés. Elle faisait montre d’un flair exceptionnel quand il s’agissait de démêler les structures byzantines de certaines entreprises, structures conçues pour échapper à la vigilance des régulateurs, des investisseurs les plus prudents ou des concurrents. Elle devinait très vite qui possédait qui, qui se cachait derrière telle ou telle société-écran, mais ne dévoilait jamais ses méthodes à ses clients. Un magicien ne doit jamais divulguer ses trucs. Ben avait invité Megan à déjeuner plusieurs fois et, comme il lui arrivait parfois d’avoir besoin de l’appeler lors de ses voyages en Europe, elle lui avait donné son numéro de téléphone personnel.

« Il est 3 heures du matin. Qui est à l’appareil ? maugréa-t-elle en décrochant.

– Ben Hartman, Megan. Pardonnez-moi, c’est important. »

Megan retrouva aussitôt ses esprits. Ben était un bon client.

« Pas de problème. Que puis-je faire pour vous ?

– Je suis en pleine réunion à Amsterdam. Une grosse négociation, expliqua-t-il en baissant la voix. Il existe à Philadelphie une petite firme bio-tech qui s’appelle Vortex Laboratories. Cette société m’intrigue. » Anna avait mentionné Vortex devant lui, en espérant qu’il l’aiderait. « Je désire savoir à qui elle appartient, avec quelle autre société Vortex pourrait raisonnablement passer un accord de partenariat, ce genre de choses.

– Je ferai mon possible, dit-elle, mais je ne promets rien.

– À la fin de la journée, ça vous va ?

– Comme vous y allez ! » Elle marqua une pause. « De la fin de quelle journée parlez-vous ? La vôtre ou la mienne ? Six heures de plus, ça fait une sacrée différence.

– Alors, disons pour la fin de votre journée. Faites ce que vous pouvez.

– Entendu, répondit-elle.

– Encore une chose. On m’a parlé d’un type à Paris, un certain Oscar Peyaud. HCM l’a embauché pour s’occuper du "contrôle" en France. Il est sous contrat avec Knapp. J’ai besoin qu’il me fournisse des informations de première main. »

Vers 10 heures, le Graben, l’une des grandes rues piétonnières de Vienne, fourmillait de badauds, d’hommes et de femmes d’affaires, de touristes. Ben passa par le Kohlmarkt et longea le Café Demel, la célèbre pâtisserie dont les somptueuses vitrines attirèrent son regard. Dans le reflet, il vit quelqu’un l’observer en douce avant de détourner les yeux.

Un homme de haute taille, avec une allure de voyou, vêtu d’un méchant imperméable bleu foncé. Sous une touffe de cheveux hirsutes poivre et sel, on apercevait un visage rougeaud et des sourcils anormalement épais, des bottes de foin de presque trois centimètres d’épaisseur, noir aile de corbeau mêlé de quelques poils blancs. Les joues de l’homme étaient couvertes de couperose, ces réseaux de vaisseaux capillaires dilatés qui apparaissent sur la peau des alcooliques.

Ben l’avait déjà vu. Il en était convaincu.

Quelque part, au cours de ces deux derniers jours, il avait croisé cet homme rubicond aux sourcils touffus.

À moins que… ?

Devenait-il paranoïaque ? Voyait-il derrière chaque visage se profiler un ennemi potentiel ?

Pour en avoir le cœur net, Ben se retourna mais l’homme avait disparu.

*

« Ma chère Miss Navarro, dit Alan Bartlett. J’ai l’impression que nous avons certaines divergences quant à la façon de mener cette enquête. Je dois avouer que je suis déçu. Vous m’aviez laissé espérer bien mieux. »

Lorsqu’Anna avait appelé Robert Polozzi, du service ID, on lui avait directement passé Bartlett, sans la prévenir.

« Écoutez, protesta-t-elle, le combiné coincé entre le menton et l’épaule gauche. Je pense être sur le point… »

Bartlett lui coupa la parole.

« Vous êtes censée jouer franc-jeu et signaler tous vos déplacements, agent Navarro. Au lieu de cela, vous faites l’école buissonnière.

– Si vous écoutiez ce que j’ai à vous dire… commença Anna, exaspérée.

– Non, c’est vous qui allez m’écouter, agent Navarro. On vous a donné pour instruction de boucler cette affaire, et c’est ce que vous allez faire. Nous avons appris que Ramago avait déjà été mis hors jeu. Rossignol était notre dernière carte. Je ne parlerai pas de la façon dont vous avez fini par le trouver, mais en tout cas, il en est mort. Apparemment, on m’a induit en erreur quand on m’a vanté votre discrétion. » La voix de Bartlett était aussi froide qu’un iceberg.

« Mais la liste Sigma…

– Vous m’aviez dit que vous comptiez le placer sous surveillance et le rencontrer avant qu’il ne soit trop tard. Vous avez oublié de préciser que vous alliez sortir la grosse artillerie. Combien de fois ai-je insisté sur la délicatesse de votre mission ? Combien de fois ? »

Anna eut l’impression de recevoir un coup de poing dans l’estomac.

« Veuillez me pardonner si j’ai pu commettre une erreur qui…

– Non, agent Navarro, je suis le seul à blâmer. C’est moi qui vous ai confié cette mission. Et pourtant, on a tenté de m’en dissuader, croyez-moi. Je me suis entêté et j’ai eu tort. Tort de vous faire confiance. C’est moi qui ai commis une erreur. J’en assume toute la responsabilité.

– Arrêtez vos conneries, s’écria Anna, soudain excédée. Vous m’accusez sans connaître toutes les données du problème.

– Vous avez des formalités administratives à accomplir. Je vous attends dans mon bureau demain avant 17 heures. Soyez au rendez-vous, même si pour ça vous avez besoin d’affréter un jet privé. »

Il fallut quelques secondes à Anna pour s’apercevoir qu’il avait raccroché. Son cœur cognait dans sa poitrine, elle avait chaud aux joues. S’il n’avait pas coupé la communication, elle l’aurait envoyé au diable, ce qui aurait sans doute eu pour effet de mettre un terme immédiat et définitif à sa carrière.

Non, pensa-t-elle, c’est déjà fait. Terminé. Quand Dupree apprendrait qu’elle s’était mise à dos l’Internai Compliance Unit, il lui retirerait ses prérogatives en moins de temps qu’il n’en faudrait pour le dire.

Bon, au moins fais ta sortie en beauté.

Le sentiment de l’inéluctable lui procurait une délicieuse impression. Un peu comme si elle se trouvait enfermée à bord d’un train fou. L’ivresse de la vitesse.

Le protocole Sigma
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